Banlieues/Periferie [atti del convegno] Université François Rabelais, Tours Banlieues/Periferie: quelles représentations contemporaines des quartiers « sensibles » ? Gênes 16-17 septembre 2015

par Nancy Murzilli

Par Anna Fochesato (Doctorante en littérature française au Département de Langues et cultures modernes de l’Université de Gênes)

Le colloque international Banlieues/Periferie: quelles représentations contemporaines des quartiers « sensibles »? a eu lieu les 16 et 17 septembre 2015 à l’Université de Gênes. Il a été organisé grâce à la collaboration entre l’Atelier de Recherche Génois sur l’Écriture Contemporaine (ARGEC), le Département de Langues et Cultures Modernes de l’Université de Gênes, l’Université François-Rabelais de Tours, le laboratoire « Interactions Culturelles et Discursives (ICD) » de l’Université François-Rabelais de Tours et l’Institut Français d’Italie.

Les deux journées du colloque, ouvertes par Michele Prandi, directeur du Département de Langues et Cultures Modernes de l’Université de Gênes, ont vu la participation de spécialistes en arts plastiques et en littérature, de linguistes, sociologues, géographes et architectes en raison d’une thématique capable de croiser plusieurs intérêts de recherche : les représentations sociales, politiques et artistiques qui intéressent aujourd’hui les marges urbaines en France, en Europe et dans le monde entier.

Compte tenu de la multiplicité de connotations généralement péjoratives dont le terme « banlieue » est chargé et de sa perception fréquente en tant que lieu par antonomase du conflit social, le colloque a développé une réflexion axée sur cinq niveaux d’analyse.

Un premier niveau a concerné la réflexion autour de la pertinence d’un discours sur les périphéries qui semble désormais considérer ces dernières comme une nouvelle « question urbaine ».

Christina Horvath (Université de Bath) a ouvert le colloque en retraçant le parcours de naissance des discours sur la banlieue et, en mettant en évidence les éléments d’analyse en jeu (la perception et la gestion de l’espace urbain, la langue et les clichés), elle a associé la pluralité des identités des banlieues avec l’opportunité de faire appel à la contribution de plusieurs disciplines.

Le premier volet de la journée, intitulé Réflexions socio-urbaines autour des zones marginales : des réalités « invisibles » en transformation?, sous la présidence d’Elisa Bricco, (Université de Gênes) a été amorcé par les géographes Didier Desponds (Université de Cergy-Pontoise) et Pierre Bergel (Université de Caen-Basse Normandie). Ils ont retracé le parcours qui des ZUS (Zones Urbaines Sensibles) de 1996 a conduit à la configuration d’une nouvelle « géographie prioritaire » en 2014. Ainsi, ils ont développé une réflexion autour des critères d’identification de la pauvreté urbaine adoptés au fil du temps par les pouvoirs publics français, centrée sur la pertinence de ces méthodes de ciblage et sur les représentations qui en constituent le fondement.

Solène Gaudin (Université Rennes 2) a ensuite posé son regard sur les formes de confrontation avec les populations ayant vécu des opérations de rénovation urbaine, mises en place par les services de municipalité dans le but d’élaborer et valoriser la mémoire locale. En remarquant la différence de perspective qui ressort de ces récits et témoignages, elle s’est interrogée sur la définition attribuable à ces productions narratives qu’elle propose d’analyser à la lumière du nouveau tournant discursif de l’urbanisme fictionnel. Sa réflexion s’est notamment développée autour d’un corpus documentaire élaboré suite aux projets de rénovation urbaine qui ont intéressé les villes moyennes bretonnes de Saint-Brieuc et de Brestentre 2006 et 2013.

L’adoption de formes de recherche participatives est aussi au cœur du programme « La ville côté femmes » (illustré en détail à la page http://urbaines.hypotheses.org/), objet du propos de Corinne Luxembourg (Université d’Artois). La question des banlieues a ici été abordée sous le profil de la répartition et de l’appropriation de l’espace public urbain selon le genre, dans le but de confronter les représentations officielles avec une cartographie résultant des cartes mentales et des entretiens individuels et collectifs produits par la population féminine et masculine. Les données fournies ont été tirées de concrètes expériences en cours de déroulement dans les quartiers des Agnettes et des Grésillons à Gennevilliers.

L’intervention de Laurence Salvator-Laurent (Université Paris Diderot) a clôturé la première partie de la matinée, prenant en considération les multiples phénomènes d’hybridation entre équipements culturels et commerciaux qui cherchent de plus en plus à modifier le partage traditionnellement inégal de ces activités entre centre-ville et périphérie. En interpellant les acteurs impliqués dans le projet de réalisation du centre commercial le Millénaire à Aubervilliers et de l’éco-quartier de commerce et de culture que ce dernier contient, tout comme les clients et le personnel qui y travaille, la chercheuse s’est interrogée sur la portée vivifiante de tels phénomènes, potentiellement capables d’altérer les représentations du territoire par les usagers et de déterminer la transformation de non-lieux en espaces relationnels et peut-être identitaires.

Un deuxième volet, intitulé Le regard de l’autre ou la portée subversive de l’image comme forme de résistance, sous la présidence de Laura Reeck (Allegheny College), a été ouvert par Élodie Nowinski (SciencesPo Paris), qui a focalisé son attention sur la mainstreamisation de la mode connue comme « ghetto style », en s’interrogeant sur la manière dont ce dernier a pu passer à travers la massification de ses codes tout en restant un élément distinctif d’une identité sociale spécifique, à savoir celles des banlieusards et banlieusardes.

Passant au domaine de la photographie, Frédérique Mocquet (Université Paris-Est) a rappelé le travail d’Adel Tincelin, qui a abouti à la publication des recueils Archives 01 en 2010 et Archives 02 en 2014. À ce propos elle a raisonné d’une part sur les moyens de proposer une image des grands ensembles contrastante par rapport aux stéréotypes généralement diffusés par l’État et les médias, et de l’autre sur les répercussions que de telles représentations ont sur l’occupation de l’espace et sur l’interprétation que l’on donne de cet espace d’un point de vue social et politique.

De son côté, Samuel Harvet (Université Paris 3) a introduit la littérature dans le débat. Sa contribution a porté à l’attention du public l’existence d’autres types de périphéries urbaines, à savoir des territoires dans la ville communément ressentis comme insignifiants et donc négligés, sur lesquels quelques écrivains contemporains ont décidé de poser leur regard. À travers l’analyse des récits La conjuration de Philippe Vasset et L’accumulation primitive de la noirceur de Bruce Bégout, il a montré l’émergence de formes de résistance littéraire détachées de l’engagement politique sartrien et fondées plutôt sur des recherches de terrain innovatrices visant à dévoiler les fractures sociales et politiques, tout en déconstruisant l’image habituelle de la ville.

Et c’est dans ce sillage qu’a débuté l’après-midi de cette première journée, sous la direction de Catherine Douzou (Université de Tours), avec pour titre Narrer les banlieues : une « sonnette d’alarme » pour le lecteur contemporain ? Si, en référence à un même corpus de romans récents, Rebecca Blanchard (Université de Toronto) et Stève Puig (St. John’s University – New York) se sont penchés sur le genre de la dystopie – l’une en tant qu’instrument de dissidence par rapport aux rhétoriques dominantes concernant la banlieue et les valeurs de la France républicaine, et l’autre en tant que véhicule d’une «sonnette d’alarme» contre les dangers d’une gestion aveugle de l’urbanisme et le risque conséquent d’enfermement des populations – Frédéric Martin-Achard (Université de Genève) a présenté son hypothèse d’un univers langagier romanesque tendu entre un souci d’authenticité et la recherche d’éléments de littérarité.

Serena Cello a présidé le quatrième volet où il a été question de La construction et la remise en cause des clichés banlieusards à travers le rap.

Mario Adobati (Université Paris 3) est alors intervenu pour analyser une forme émergente de rap français qui vise à diffuser une nouvelle mythologie sur la banlieue, selon laquelle la vie y serait simple, consacrée au plaisir et omnipotente, alors que Šárka Novotná a guidé le public dans l’univers linguistique et symbolique du rapper Maska, qui avecson dernier album, Espace-temps (2014), rend manifeste son propre ressenti et permet de comprendre la musique en tant que moyen de recherche identitaire.

La deuxième journée s’est ouverte sous la présidence de Roberto Francavilla, avec un cinquième volet intitulé Pour une déconstruction de l’imaginaire stigmatisé des banlieues : la parole aux résidents. Dans ce contexte, Roberta Pastore (Gruppo 124) a présenté le travail de « raccommodage des périphéries » de l’équipe de Renzo Piano et notamment le projet BAL (« Buone Azioni per Librino ») de recyclage du quartier de Librino à Catania en 2014 sur la base d’une collaboration entre la société civile et les institutions territoriales. L’analyse partagée des besoins locaux a permis la réalisation d’un espace public nouveau d’un point de vue non seulement architectural mais encore et surtout social.

Sofiane Ailane (Université Lyon 2) a ensuite transporté virtuellement le public au Brésil, dans la marge des centres urbains du pays, où le hip-hop est exploité par les institutions et les associations de quartiers en tant que moyen d’inclusion sociale et de récupération des jeunes de ladite periferia. En se déplaçant dans l’aire de la ville qui a reçu le colloque, les sociologues Maddalena Bartolini et Stefano Benasso (Université de Gênes) ont illustré le concept de périphérie sociale, plutôt que géographique, par le biais du quartier de Bolzaneto à Gênes, et ils ont retracé le parcours qui a donné naissance à la vidéo-documentaire dramma, scempio e fama (2012), réalisé par le « Laboratorio di sociologia visuale » de la même université, où, à travers les mots des rappeurs de la « Santa Alleanza », on visualise la carte émotive de la perception du territoire de deux artistes adolescents.

De son côté, la contribution de Wajih Guehria (Université Souk Ahras) a concerné le projet franco-britannique « Multiculral London English/Multicultural Paris French », dans le cadre duquel un nombre important de personnes a été interviewé à propos du film L’esquive (2004), notamment sur la perception de la violence du langage verbal et non-verbal. Le résultat est celui d’une représentation négative, simpliste et artificielle de la population des banlieues.

Le dernier volet de ce colloque, présidé par Nancy Murzilli (Université de Gênes), a été consacré à la représentation cinématographique des banlieues. Ophélie Naessens (Université Rennes 2) a retracé le parcours des artistes qui depuis les années 1970 ont recueilli les propos et les images de personnes habitant les quartiers sensibles, en relatant leur situation et leurs conditions de vie dans le but de transmettre des visions alternatives de la réalité. Leurs témoignages constituent en effet une forme de contestation, que les arts visuels portent à la lumière. Rossella Viola (Université de Rome La Sapienza) est intervenue sur l’opportunité de croiser la réflexion avec la question migratoire, en recherchant les différentes représentations de l’espace urbain dans le cinéma italien de l’immigration, de Una moglie americana de Gian Luigi Polidoro (1965) à Il sangue verde de Andrea Segre (2010). Un changement de perspective se manifeste alors: si le cinéma du passé, à savoir la filmographie de l’immigration, montrait la banlieue comme un ghetto, aujourd’hui ces films , tout en gardant l’idée d’une frontière entre le centre-ville et la périphérie, entre la ville formelle et les villes satellites, s’ouvrent à une lueur d’espoir en envisageant la possibilité que ces dernières prennent la forme de lieux adéquats pour la construction d’une vie décente. Corinne Maury (Université Toulouse 3) a conclu la session en focalisant l’attention sur certaines narrations cinématographiques contemporaines qui proposent au spectateur de plonger dans une « géo-histoire » grâce au rôle de protagoniste joué par les banlieues, difficilement définissables en tant que simple décor.

Le colloque s’est clôturé par une table ronde qui a vu la participation de plusieurs spécialistes de l’Université de Gênes se confrontant sur la conflictualité réelle et imaginaire au sein de l’espace urbain, (thématique qui a fait l’objet des projets de recherche universitaires PRA 2013 et 2014), chacun dans son domaine de compétence. La littérature des favelas au Brésil, les enjeux identitaires en Colombie, la ville scandinave entre 1800 et 1900, les images littéraires de Madrid après le franquisme, les représentations graphiques de Montréal et les métaphores de l’espace urbain dans l’architecture : telle a été la variété des perspectives traitées.

Le colloque a certainement mis en évidence un sujet de recherche riche et stimulant dont il n’est pas difficile de voir l’ampleur des pistes de réflexions futures. Sa valeur réside notamment dans le fait d’avoir abordé une thématique d’actualité brûlante qui participe, dans un rapport de proximité spatiale et émotive plus ou moins fort, de la quotidienneté de tout un chacun. Il l’a fait à travers des discours de longue haleine et en confrontant les savoirs de plusieurs disciplines. La contribution que chacun a su apporter à la réflexion commune montre l’importance d’une recherche vouée à la collaboration, à la confrontation, à l’échange : seul le regard croisé d’une multiplicité de discours interprétatifs peut en effet aspirer à comprendre la complexité de notre société.

NDLR: ce compte rendu a également été publié sur les Carnets d’EFMR

Colloque « Banlieues/periferie : quelles représentations contemporaines des quartiers « sensibles » ? », Gênes 16-17 septembre 2015